vendredi 28 décembre 2012



La Sibylle de la rue Girardon (Février 1944)
Benoist-Méchin, Drieu La Rochelle, Céline et Gen Paul sont invités à dîner à l’ambassade d’Allemagne par le diplomate Otto Abetz.
La conversation tourne autour de l’affaiblissement de la position allemande dans la guerre
“Personne ne sait exactement ce qui s’est passé, poursuit Drieu, mais une chose est certaine : pour la première fois depuis le début de la guerre, la machine de guerre allemande ne paraît plus invincible.(…)
L’ambassadeur, Otto Abetz essaie de défendre la position allemande.
“Durant les explications d’Abetz, j’ai observé Céline. Celui-ci n’a pas prononcé un mot durant tout le dîner. Il est resté tassé sur lui-même, la tête enfoncée dans les épaules, le front baissé. Une tristesse indicible se lit sur son visage. Va-t-il resté muet jusqu’à la fin de la soirée ?” (…)

“Et soudain il explose :
Assez ! dit-il, assez ! en frappant la table de ses deux mains au point de faire vibrer les verres. J’en ai assez d’écouter vos conneries ! Vous n’y êtes pas du tout… Vous croyez faire les malins, vous vous triturez les méninges autour d’une table bien servie, tandis que le monde s’écroule… Ma parole, vous avez une taie nacrée sur les yeux, du plomb dans les oreilles. Et vous, monsieur, l’Ambassadeur, vous vous retranchez derrière des chiffres ramassés dans la poubelle de technocrates gâteux ! Mais ces chiffres ne prouvent rien ! Ce qui compte, ce n’est pas ce que vous produisez, mais ce que produisent vos ennemis ! Si vous construisez quarante mille avions, les Américains en construiront deux cent mille. À vos armes secrètes, ils opposeront des armes plus secrètes et plus meurtrières encore. Vous n’y pouvez rien : ils sont la masse et la fonction de la masse est de tout écraser. Pendant ce temps, sournoisement, vous nous cacher l’essentiel. Pourquoi ne nous dites-vous pas qu’Hitler est mort ?
Hitler est mort ? s’exclame Abetz en écarquillant les yeux.
Vous le savez aussi bien que nous ! Seulement, vous ne voulez pas le dire. Mais on n’a pas besoin d’être ambassadeur pour le savoir : ça crève les yeux ! Les juifs l’ont remplacé par un des leurs !
Abetz, Drieu et moi en avons le souffle coupé.”
Céline continue sa diatribe avec une grande violence. L’ambassadeur est en mauvaise posture par rapport aux employés de l’ambassade. Il ne sait comment mettre fin à la scène. Enfin il trouve une solution.
“Le chauffeur d’Abetz est entré dans la pièce.
Vous allez reconduire M. Céline chez lui, 4 rue Girardon, lui dit l’ambassadeur. Mais roulez très doucement, car il est souffrant. Vous repasserez chez lui demain pour lui apporter quelques fruits et prendre de ses nouvelles…”
Gen Paul et moi allons raccompagner Céline, dis-je à l’ambassadeur. C’est la sibylle de notre quartier. Nous habitons tous trois Montmartre…
Dans la voiture qui nous ramène, Céline ne dit pas un mot.
Tout de même, qu’est-ce que tu leur as cassé ! dit Gen Paul à voix basse.
Céline ouvre un oeil et réponds d’un ton calme :
Si je leur avais dit tout ce que j’ai sur le coeur, ç’aurait été pire…”
Jacques Benoist-Méchin, “À l’épreuve du temps. Souvenirs » chez Perrin, 2011 (cf. fdesouche)

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